Amis partis et (re)venus

Assis pensif comme à son habitude dans le fauteuil le plus proche du foyer, une harpe auprès de lui, Daemoth contemplait les braises devenant cendres. Au fil d’années muées en siècles puis en millénaires, il avait perdu tant d’amis et de proches que son cœur aurait du s’endurcir. Il n’en était rien. Chaque départ d’un être aimé était un nouveau déchirement, une souffrance aigüe comme une épine de glace. La surface d’un lac parcouru des plus violents courants demeure trompeusement calme, péril aussi certain qu’une lame pour qui se fie aux apparences : ainsi le visage du Chasseur demeurait impassible et serein, mais ceux qui le connaissaient bien auraient pu déchiffrer désarroi, doute et peine dans son regard vert où s’éteignaient les braises. Sire Azmal, Llestael et à présent Eldrahir avaient quitté les Ombres. Dame Neyge était partie au loin, et Amarthaina, privée de son amie, cachait difficilement sa peine. D’autres avaient rejoint la Confrérie : Theoras le joyeux musicien Hobbit, Gugar le Chasseur intrépide, et le vaillant Pelarthelion que Dame Melwaen avait délivré d’un funeste enchantement. Ainsi le ciel de peine s’éclairait-il un peu, et la promesse de nouveaux exploits aux côtés de tant d’amis valeureux était un réconfort au cœur de l’Elfe âgé de tant de siècles.

« Les Ombres ont encore tant à faire ! »

Leurs pas avaient été si légers, que nul excepté un Chasseur aguerri n’aurait pu les entendre. Dame Andewen et Theoras se tenaient sur le seuil de la grand-salle. Tous deux avaient leurs instruments, et bien entendu Theoras apportait également quelques friandises.
Une conversation légère s’ensuivit. Pour le Chasseur, elle était comme la pluie fine et douce qui rend sa nouveauté aux fleurs du Printemps. Theoras, entre une bouchée et une lampée, devisait joyeusement et questionnait les Elfes sur tel ou tel détail d’épopées légendaires ; dame Andewen répondait brièvement, laissant sa harpe chanter tour à tour la joie, les deuils et les espoirs d’antan, la forêt de Lorien si chère au cœur de Daemoth. Puis les voix se firent murmures, et le Hobbit passa d’une rêverie des Jours Anciens au rêve simple des Mortels, et les Elfes contemplèrent le feu en silence; mais comme tous les Premiers-Nés, leurs pensées pouvaient se passer de mots, quand ils ne cherchaient pas à les dissimuler.
Et dans la nuit qui s’avançait, les deux amis évoquèrent les récents évènements, les périls affrontés au cœur du ténébreux royaume perdu des Nains, la sombre Moria peuplée d’horreurs. En langage ordinaire, cette conversation muette aurait donné à peu près ceci :

« Nous devenons assez forts et sages pour affronter les plus grands dangers.
-Nombreux parmi nous l’étaient déjà auparavant : Dame Melwaen, et les Chasseresses vaillantes Neyge et Amarthaina. Et sire Azmal également...
-Oui, notre perte est grande. Mais d’autres marchent dans leurs pas : les Mortels qui nous ont rejoints sont forts, certains seront bientôt prêts. Enfin…
-…Autant qu’on peut l’être face à de tels périls, oui. Nos amis Hyolendas, dame Atanys, sire Thuranor, et Gugar l’Archer du Gondor, et ce Periannath qui sommeille ici. Leur pouvoir grandit ; déjà certains affrontent la terreur aux portes de la Moria.
-Que disent les récits sur le mal de ce pays de Nains ?
-Les Naugrims avaient un vaste royaume, si vaste en fait qu’il n’en existe nulle carte complète même dans leur peuple ; et ils répugnent à en faire le récit à ceux qui ne sont pas des leurs ; mais même entre eux ils ignorent pour beaucoup la source du Fléau de Durïn , le dernier Roi de Khazad-Dûm, qu’ils évoquent dans leurs chansons.
-Je sais que les Elfes de l’Eregion furent les amis des Naugrims, et que Celebrimbor le Maître-Forgeron façonna les belles portes enchantées de Dwarrowdelf, comme nous nommions la Moria.
-Oui, et ce fut un grand et beau royaume, une cité entière de lumière et de splendeur sous la terre. Les Naugrims n’en auront jamais de pareille ; et l’Ennemi leur a même proposé d’en faire leur demeure pour toujours, si les Nains l’aidaient à …
-…à recouvrer ce qu’il a perdu. Oui, cela a été dit au Conseil d’Elrond ; il est si aisé de jouer sur l’avidité des Naugrims.
-Mais les Nains se souviennent que l’Ennemi les a toujours trompés. Et il y a plusieurs façons d’interpréter la promesse des émissaires de l’Ennemi : un tombeau est aussi une demeure pour toujours…
-Pourtant, c’est bien leur avidité qui a conduit les Nains à leur perte il y a de cela bien des siècles ?
-Les Nains recherchaient du mithril : tous les artisans des Terres du Milieu en chantent les louanges et se lamentent de sa rareté. Moi qui suis joallière, je brûle de joie lorsque nous en trouvons un seul copeau. Et même dans l’art du bois, il me semble, on lui trouve un usage…
-Je pourrais en façonner un arc si extraordinaire, qu’il rappellerait la gloire des armées de Gil-Galad !...
-Alors, comment en vouloir aux Nains d’avoir creusé aussi profondément pour le trouver ?...Et n’ont-ils pas payé bien cher leur avidité ? Leur Roi, puis son fils, puis tout leur royaume sont tombés devant ce qu’ils nomment « le Fléau de Durïn ».
-Heureusement, c’était il y a des siècles, et sûrement cette menace a quitté ce monde depuis. Seuls demeurent les Orques, certains d’une race immonde il est vrai, mais pas à l’abri d’une flèche bien placée.
-Il est des choses plus sombres que les Orques dans les profondeurs du monde. Certaines n’ont pas de nom, même chez l’Ennemi. Et même Sauron ignore qui a creusé certains des plus anciens tunnels, car ces êtres sont plus vieux que lui.
-Les Nains n’ont-ils pas creusé toutes les galeries de leur royaume ?
-Ils ont creusé profondément et en ont découverts, et de vastes salles aussi, et ces lieux n’étaient pas toujours désertés : ils ont affronté bien des horreurs dans l’obscurité. Durant nos aventures, nous en avons vu certaines, qui ne sont que leur descendance. Et à la fin, les Nains éveillèrent ce qui les a tous tués ou chassés : le Fléau de Durïn.
-Qu’était-ce ?
-Leurs récits parlent d’ombre et de flammes, mais ceux qui l’ont vu sont morts, hormis Daïn Pied-d’Acier, Roi sous la Montagne, lors de l’affreuse Guerre contre les Gobelins : et il n’en parle pas.
-Si c’était un Dragon, il se peut qu’il vive encore.
-Si c’était un Dragon, un héros des Hommes ou des Nains aurait fini par l’abattre. Mais Dame Melwaen, et Neyge et Amarthaina ont parlé d’un Mal bien pire, une ombre des Anciens Jours.
-Les Esprits qui servaient Morgoth ?...Je croyais qu’ils étaient tous détruits, ou endormis à jamais, depuis la chute de leur maître.
-Sauron était l’un de ses serviteurs, et il ne dort plus. Le mont Caradhras, et d’autres lieux déserts ou tourmentés, abritent encore des êtres étranges nés avant le Soleil : Tom Bombadil lui-même en est un exemple, et sa compagne Baie d’Or. Mais eux sont bienveillants, alors que l’esprit du Caradhras, tout comme la chose que les malheureux Nains ont éveillée, sont corrompus et haïssent toute créature.
-Le moment venu, nous devrons affronter cette menace. Puissent nos amis être à nos côtés. »

Le feu s’était éteint. Les premiers rayons du soleil éveillaient les oiseaux dans les arbres peuplés de fleurs printanières. Par la fenêtre, entrait un air vif et frais comme une gorgée d’eau pure : le Hobbit remua, bailla et s’assit en clignant des yeux comme un oisillon ébourriffé.

« J’ai faim. Quelle heure est-il ? »

Les deux Elfes se regardèrent, puis leur rire jaillit comme un chant de joie et de lumière. Et leurs amis des Ombres, s’éveillant les uns après les autres, les rejoignirent dans le matin clair.

Iowyn réveillée par les rires, descendis les marches de l'escalier en évitant de tomber à la renverse. Encore toute secouée des dernières nouvelles concernant le départ de ses frères et sœurs et après une nuit ou l'œil fut bien difficile à se recroqueviller, elle rentra sans un bruit dans le salon, après une bise et un bonjour élancée aux deux elfes encore debout en cette heure matinale, elle leur fit part de ses préoccupation.

"Mes amis n'ayant pas pu fermer l'œil de la nuit, je n'ai pu m'empêcher de vous écouter, Nous savons que le menace gronde toujours et plus particulièrement dans la Moria, je parle de Nous car je ne suis pas seule, je pense pouvoir répondre au nom de nos amis ombres. Nous avons....perdue....certes, des combattants, des alliés, que dis je des amis ! Mais pour tout ceux qui reste l'objectif n'a point changé !

En cette nouvelle aube, c'est à nous de reprendre le flambeau des ainés qui nous ont quittés, que leurs routes soient bonnes mais que la notre continue. Nous serons surement moins expérimenté, il en est ainsi cependant la motivation s'y retrouve la dedans, et nous donne encore plus d'élan pour affronter tout ce que nous aurons à percevoir comme danger dans les prochaines étapes.

J'espère que vous comprenez ou je veux en venir....

Iowyn se rend silencieuse et, se perdant dans ses pensées, retourne dans sa chambre sans un bruit...

Atanys qui était restée dans un coin du jardin à admirer les étoiles toute la nuit n'avait pas scié un instant avant le petit jour. Allant dans la maison pour se chercher une ou deux choses à grignoter l'Elda tomba en plein sur la discussion qu'avait lancé Iowyn. Ne voulant pas encore se manifester, elle resta discrète, comme une ombre. Les mots de son amie étaient importants, essentiels même car la femme du Rohan disait vrai. Une nouvelle flamme se mit alors à brûler dans le coeur de celle qui était emplie de tellement de désespoir. Une main sur le coeur, l'Elda se demanda comment une jeune femme pouvait être aussi sage. Il lui avait fallu tant d'années pour le devenir. Alors l'Elfe se surprit d'une admiration secrète pour la race des hommes. Même si ce fut déjà le cas auparavant lorsqu'elle rencontra un certain Stannis ... Lui qui l'avait tellement déçue.

*Tu as raison mon amie ... Nous avons perdu de nombreux compagnons mais l'espoir qu'ils ont apporté demeure en nous et le mal continu de progresser sur nôtre monde. Nous pourrions sans arrêt nous repasser en mémoire le bon vieux temps avec nostalgie, mais la vraie force des Ombres réside aussi chez ceux qui sont encore là, ou qui furent jadis petits et qui deviennent grands. La flamme qui grandit en nous ne cesse d'augmenter et un jour nous serons aussi sages que les plus anciens. L'espoir n'est pas encore mort. Je le vois à travers toi, Iowyn mon amie, lumière scintillante parmi les coeurs si tourmentés des gens de ton espèce. C'est parce que de grandes forces comme la tienne émergent du lot que j'ai espoir qu'un jour la victoire sera nôtre. Même si je ne serais peut être plus là pour le voir ...*

Et Atanys pensa aussi aux derniers événements.
Ivellios Nailo et sa compagnie étaient devenus son véritable problème. Stannis s'était avéré être un traquenard, une perte de temps inutile. Il s'était servi d'elle pour compenser le manque de celle qu'elle lui rappelait tant. Là n'était plus l'important, si Stannis n'avait aucun secret, ce n'était pas son cas. Atanys était en fuite perpétuelle, rares étaient devenues les fois où elle pouvait profiter de la chaleur du logis des Ombres. Sans se faire voir car elle ne voulut pas embarrasser ses amis, l'Elfe repartit au dehors avec de quoi grignoter, puis, montant à cheval (et cela devenait de plus en plus dur à cause de sa grossesse), l'Elda s'éloigna au loin le coeur empli de joie. Ses amis seraient toujours là, qu'importe leur nom une Ombre est une Ombre et les Ombres demeureront sa famille à travers le temps et à travers ses membres, des plus petits au plus grands d'entre eux.