Ce matin là, comme de nombreux auparavant, Gharic arriva dans la Comté, empruntant un chemin que sa monture connaissait bien.
Après quelques dizaines de minutes à parcourir la campagne, à saluer les habitants et à respirer l'odeur des foins coupés, il arriva enfin à destination.
Le petit orphelinat de Grand-Cave avait grand besoin d'être rafraichi, mais ça n'était pas sa mission du jour.
Lentement, il descendit de sa monture et la guida dans la cour pavée et l'attacha non loin d'un bassin d'eau claire entourant une statue de hobbit jouant du flutiau, par lequel coulait à gros bouillon une eau fraîche et cristalline et glougloutante.
Il salua le gardien d'une poignée de main virile et se dirigea vers la seule salle de classe de l'établissement.
Jeant un coup d'oeil par la vitre, il aperçut Mademoiselle Puilladec donner la fin de son cours.
Visiblement, c'était géographie.
Tournant le dos à la fenêtre, une trentaine de bambins, tous hobbits, et hauts comme trois pommes écoutaient d'un air distrait les explications de l'enseignante.
L'apercevant par la porte vitrée, Mademoiselle Puilladec donna quelques instructions sur le prochain devoir et invita d'un geste discret le nain à entrer...
Dès que la porte commença à bouger, dans un léger grincement, les élèves tournèrent tous la tête vers le nouvel arrivant, sautant sur leurs jambes et courant vers lui pour l'entourer d'une tendresse enfantine et revigorante.
"Tonton Gharic!... Tonton Gharic!...."
Tous le connaissaient désormais sous ce vocable bien qu'aucun lien de famille n'eut jamais uni le ménestrel nain et ces jeunes rejetons hobbits.
Ils lui firent la fête pendant quelques minutes, le noyant de questions, quémandant des sourires.
Le nain s'y plia de bonne grâce, son rire sonore emplissant la pièce.
Puis l'enseignante rapela ses élèves à l'ordre et chacun retourna s'asseoir à sa place, impatient de ce qu'ils savaient suivre.
"Bonjour les enfants et merci de votre charmant accueil." se contenta d'annoncer le nain, goguenard..
Il dévisagea la trentaine de bambins, âgés sans doute de cinq à douze années.
"Aujourd'hui, je vais vous raconter l'histoire des deux ânes et du perroquet" annonça-t-il, se dirigeant vers une étégère où quelques rares livres tentaient tant bien que mal de meubler....
Un soupir de résignation gagna la salle, les enfants connaissant tous l'ensemble des histoires contenues dans ces ouvrages, pour les avoir entendues plusieurs fois.... Cela le nain le savait et, malicieux, laissa enfler les murmures jusqu'à ce qu'une petite voix résonne, plus forte que les autres...
"Tonton Gharic, tu nous racontes une vraie histoire?"
A ces mots, la rumeur enfla de plus belle, l'ensemble des enfants se joignant à la supplique.
"Une vraie histoire? - lança, inquisiteur le nain joufflu.
Les enfants ne tenaient plus en place. Ce petit jeu n'avait rien de nouveau mais ils s'y pliaient toujours avec le même plaisir. Autant le nain que les enfants.
"Oui, une histoire comme vous les racontez si bien " conclut l'enseignante, à la grande satisfaction de tous.
"Trèèèèès bien... Cette histoire, c'est l'histoire d'un jeune homme, un elfe... vous connaissez les elfes, vous en avez déjà vus.... Lui... c'était un guerrier, avec une graaaaaaande épée....
Le nain parlait avec emphase, mimant et exagérant ses gestes pour un auditoire qui lui était tout acquis.
"Il était allé au camp d'Ost Guruth (s'enquierant que les enfants savaient où c'était, confirmé par Mlle Puilladec), loin dans les Terres Solitaires, à l'est du Pays de Bree. Il venait livrer un lot d'épées que le chef lui avait commandé. Il allait repartir quand un homme lui mit la main sur l'épaule.
"Ma femme a disparu -lui dit-il - en allant chercher du bois pour les arcs. Elle est partie hier et elle n'est pas rentrée ce matin... Pouvez vous m'aider?.....
Le ménestrel mit son récit en pause et sonda les enfants....
"Est-ce qu'il doit aider cet homme? Cet homme qu'il ne connait pas?..."
Un énorme "ouiiiiiii "emplit la salle, apportant sur le visage du nain, une satisfaction qui confinait à l'enfance.
"Très bien.... L'elfe questionna l'homme, lui demanda où sa femme ramassait le bois et lui fit indiquer la direction.... Sud ESt!....
Gharic afficha un visage apeuré, se mordillant la lèvre inférieure, communiquant par cette mimique, le danger que l'on ressentait de façon palpable dans la classe. Aucun des enfants n'échappa au dramatique de l'histoire, accrochés au récit qu'ils vivaient par procuration...
"Le sud est -reprit Gharic - les Marais de Harloeg.... LES TROLLS!!!
La salle sursauta au même moment comme si une de ces créatures venait d'entrer à l'instant, dégoulinant de haine et de violence.Les plus petits se blottirent dans les bras des plus âgés.
"Oui, les trolls. Ils infestaient les marais et les forêts de Harloeg. Mais l'elfe n'en avait cure. Il irait dans les marais. Il le promit au mari. Il ne savait pas si lui même en reviendrait, s'il trouverait la dame, mais il promit.
Il sella donc son cheval et l'enfourcha, galopant "cataclop cataclop" vers le sud est. Arrivé au nord des marais, il trouva un buisson et y attacha sa monture. Ici elle ne risquait rien. Les ouargues vivaient bien plus loin.
Il descendit dans les marais et gagna la forêt, à l'est.
Dès qu'il fit quelques pas sous le couvert des arbres, il sentit que le danger rôdait. mais il chercha, prudemment, pendant de longues heures, évitant les trolls qui passaient, mais ne le voyaient pas.
Puis, au détour d'un virage, il la vit. Une femme, attachée, ligotée, pendue par les poignets à une branche. Deux trolls s'amusaient à la faire balancer, en s'esclaffant d'un rire gras "hoooohhh hooohh hoohhh". L'elfe était fort, mais les trolls étaient deux. Il ramassa une pierre, à terre, et la mit dans sa poche. Puis il s'éloigna un peu, gardant un des trolls en vue. Puis, d'un geste vif, il lança la pierre qui alla cogner contre le crâne du troll... Le monstre se mit à courir dans la direction d'où venait le caillou et vit l'elfe.... Il fonça en martelant le sol de ses gros pieds.
L'elfe se mit en garde et roula sur le côté, assénant un grand coup d'épée dans la cuisse du troll. La bête répondit en lui collant un grand coup de masse dans le ventre, qui fit voler l'elfe à plusieurs mètres...
L'autre troll, lui, regardait mais ne voyait rien, grognant dans sa langue "bharashh ushh zogg zogg".
Le nain mimait le combat avec force détails, utilisant une règle en guise d'épée. Les enfants étaient en admiration pour le guerrier qu'ils devinaient derrière la carrure du nain.
"Puis l'elfe recula, récupéra un peu et se mit en position pour recevoir la charge du troll. Une seconde avant que la masse ne s'abatte une seconde fois, le guerrier lança son épée entre les jambes de son adversaire, bondit en hauteur, saisit une branche et s'y balança vivement et se propulsa derrière la bête, ramassa son épée avant que le troll ne comprenne et lui enfonça la lame dans le dos, là, juste dans la colonne. Puis il tourna et retoruna son épée et réussit à la sortir. Le troll était tombé, la colonne sectionnée, mais encore vivant. L'elfe montant sur le gros tas -le nain montant sur le bureau- et lui enfonça son arme dans le dos, jusqu'à la garde. Il poussa un grand cri de victoire qui fit venir le deuxième troll.
Gharic parcourut à nouveau les visages pour y lire la fierté qu'ils exprimaient d'avoir vu un elfe triompher d'un immense troll enragé. Chacun d'eux avait livré ce combat. Chacun avait eu peur. Chacun avait ressenti les blessures dans son corps.
Redescendant du bureau, Gharic reprit son histoire.
"...Mais le deuxième troll était moins bête que l'autre. Il ramassa des grosses pierres sur le sol et les lança sur l'elfe. Il en reçut une à l'épaule et il laissa tomber son épée. Le troll, alors, lui fonça dessus, les poings en avant.Une nouvelle bagarre allait commencer. L'elfe se defendit comme il put, mais son épaule lui faisait mal. Alors qu'il croyait qu'il allait mourir, il vit une lumière devant ses yeux. C'était l'image d'une femme, comme faite de lumière. Elle lui parla dans des mots qu'il ne comprit pas, mais il sut ce qu'il devait faire. Empoignant deux dagues, une dans chaque main, il se laissa frapper une nouvelle fois et tomba à terre, sur le dos. La dame de lumière avait disparu."
Une rumeur courut dans la classe se demandant qui pouvait être cette mystérieuse femme.
"le troll s'avança et se pencha sur l"elfe pour voir s'il était mort.... à ce moment là l'elfe tendit ses deux poings en avant, crevant les yeux du troll curieux...
Une vague de soulagement parcourut l'auditoire, l'enseignante n'était pas la moins concernée.
"Alors, l'elfe s'est levé, il a repris son épée par terre et il planté sa lame dans la gorge du troll..."
"Oouaaaaissssss". La mort du troll généra une clameur insensée dans la salle, que Mlle Puilladec calma avec peine mais avec le sourire.
Le silence étant revenu, sans qu'une question ne fuse, le ménestrel reprit son récit...
"Alors, après être sûr que les deux trolls étaient morts, l'elfe alla délivrer la pauvre dame prisonnière.
Puis ils rentrèrent au camp, en faisant attention de ne pas retomber sur d'autres trolls.
Ils retrouvèrent le cheval où le guerrier l'avait laissé. Et ils firent une entrée triomphale à Ost Guruth.
Le mari remercia le guerrier en lui offrant une belle bourse de pièces mais l'elfe ne la prit pas, disant qu'il avait eu plaisir à tuer ces mostres.
Puis il est reparti ailleurs, comme il était venu...."
"Voilaaa, c'est la fin de cette histoire..."
Gharic attendit que les enfants sortent lentement du récit et reprennent pied dans la réalité. Les enfants avaient l'habitude, et ne réclameraient pas une suite ou une seconde histoire, mais les exploits de l'elfe allaient être disséqués, repris, rejoués et finiraient par faire partie du petit monde des orphelins, comme tant d'autres héros mystéirieux auparavant.
Le nain reprenait ses affaires, quand une petite fille le tira par le tissu de ses braies....
"Dis, Tonton Gharic, c'était qui la dame qui brille?"
Le nain se régalait de ces moments privilégiés... Il sonda le regard inquisiteur et innocent de la petite fille, attendit un moment avant de lui délivrer la précieuse réponse.
"Eh bien, c'est la dame que le guerrier elfe aime, tout simplement. Il avait tellement peur de mourir, qu'il a pensé à elle...."
La gamine l'attrappa par le haut de sa veste, l'obligeant à se baisser et le gratifia d'un gros bisou sonore sur la joue gauche. Et elle s'en fut retrouver les autres, fière d'avoir une partie de l'histoire à raconter, fière de pouvoir capter l'attention un court moment.
Gharic finit de rassembler son barda, remercié par l'institutrice, quand il remarqua un gamin qui était resté dans la classe, alors que tous les autres s'ébattaient déjà joyeusement dans la cour, prodiguant des tonnes de bisous à la vieille monture.
Gharic le laissa venir et l'interrogea d'un sourire.
"Tonton Gharic, c'était qui l'elfe? Vous connaissez son nom?"
Pardi, bien sûr qu'il le connaissait...
"Oui, j'ai l'honneur de le connaître et d'être son ami. Il s'appelle Llestael Gw.... juste Llestael"
Mar 22 Juil - 21:36