Melwaen marcha péniblement jusqu’à sa table. Elle allait un peu mieux chaque jour. Elle posa la plume, l’encrier et le parchemin qu’elle avait pris sur l’étagère dans sa chambre. Elle tira laborieusement la chaise, en évitant de faire trop de bruits. Aratern dormait près de la cheminée. Il l’avait veillé depuis qu’elle était rentrée et manquait visiblement de sommeil. Lael était parti faire une course à Grand Cave. Elle pouvait donc profiter de ce moment pour essayer d’écrire. Elle voulait tenter de relater à ses compagnons ce qui lui était arrivé. Parler était trop difficile, elle sentait qu’elle ne tiendrait pas et elle ne voulait pas qu’ils culpabilisent à nouveau ou s’inquiètent d’avantage pour elle.
L’elfe contempla la page vierge et poussa un soupir lourd de sens. Même raconter sur le papier lui était difficile. Elle se rappela ses inquiétudes les jours précédents cette fameuse nuit où l’on était venu l’enlever. Elle avait l’impression qu’on la suivait et pire encore en rentrant chez elle, elle eut la sensation étrange mai persistante que quelqu’un était venu et avait déplacé quelques objets. Bien sûr ce n’était pas si impossible, Andewen notamment possédait la clé mais elle doutait que la jeune femme si timide et respectueuse ait osé toucher quoique ce soit. Et puis ce fameux soir… Elle était seule chez elle, finissant de répondre à son courrier personnel et préparant les quelques tâches qu’elle confierait à son aide le lendemain quand la porte s’ouvrit avec fracas. Elle vit une bande de brigands pénétrer. Se relevant elle fit basculer la table sur le sol. Elle courut jusque sa chambre où elle avait laissé son bâton, sans lui elle était sans défense. Deux hommes la saisirent au passage. Elle se débattit comme une lionne, mordant, griffant, frappant tout ce qui était à sa portée. Elle finit enfin par saisir l’objet tant convoité mais une femme cette fois le lui arracha des mains. Melwaen vit alors un corbeau apparaître, il fonça sur les assaillants qui eurent bien du mal à s’en dépêtrer. Finalement l’oiseau fut mis chaos et elle le vit tomber brutalement au sol. Elle sentit une vive douleur à la tête.
Lorsqu’elle émergea elle était attachée aux poignets et chevilles. Elle gisait sur le sol, près d’un feu de camp. Elle se releva avec difficulté, parvenant tant bien que mal à se mettre assise. Regardant autour d’elle, elle vit aux petites maisonnettes si reconnaissables qu’elle devait toujours être dans la Comté, mais où ? Voyant qu’elle avait repris connaissance, l’un des bandits alla prévenir son chef. Ils lui firent ensuite subir un interrogatoire en règles mais elle fut soulagée de voir qu’aucune question n’avait de rapport avec la prophétie ou les Ombres. En fait ces brigands croyaient qu’elle possédait beaucoup d’argent et qu’il pourrait monnayer sa liberté contre une rançon. Elle eut bien du mal à leur faire comprendre que ce n’était pas le cas et dut encaisser nombre de coups.
Seulement les bandits ne renoncèrent pas si facilement à obtenir quelque chose d’elle. Ils ne s’étaient pas fatigués à l’enlever pour ne pas recevoir une contrepartie. Quatre d’entre eux furent chargés de l’escorter vers un autre camp. Ils prirent une barque, descendirent un fleuve puis revinrent sur la terre ferme. Melwaen en profita pour essayer de s’enfuir mais attachée elle ne put pas aller bien loin et fut contrainte de les suivre. Ils parcoururent plusieurs dizaines de lieues et enfin arrivèrent à la planque des hors la loi. Elle crut reconnaître les paysages des champs de Bree et l’espoir lui revint. Malheureusement elle n’eut aucune autre occasion de s’enfuir et pire encore, ils durent reprendre la route. Elle entendit le mot « orque » qui la fit frissonner. Les bandits voulaient ils la livrer à ces monstres ? Cette fois elle en était sûre, elle n’était plus très loin de Bree, c’était rageant de se savoir si près des secours et pourtant si loin. Sous bonne escorte elle n’eut d’autre choix que de filer droit. Ils remontèrent vers le nord, jusqu’à un camp orque. Elle les écouta marchander sa valeur mais visiblement ils ne réussirent pas à s’entendre. Une bataille eut lieu, les brigands n’avaient aucune chance. En quelques minutes leurs corps gisaient, baignés de sang sur le sol.
Ce qui se passa pendant sa détention chez les orques jamais Melwaen ne pensait pouvoir le raconter, pas plus qu’elle ne pourrait l’oublier. Ce qu’elle n’oublierait pas non plus c’était la reconnaissance qu’elle éprouvait envers tous ces compagnons qui n’avaient pas hésité à braver tous les dangers et à fouiller l’Eriador tout entier pour la retrouver. Elle se souvenait aussi très bien de ce qu’elle avait ressenti en sortant du gouffre sombre où elle était tombée pour découvrir qu’elle était chez elle, saine et sauve entourée de compagnons chargés de la veiller. Oui elle avait beaucoup de chance d’avoir ses amis fidèles et courageux. Et malgré ce qu’elle avait vécu, malgré la peur, malgré le doute, le désespoir qu’elle avait connu, elle savait qu’ils seraient toujours là. Paradoxalement, les Ombres étaient sa lumière.
De retour dans le présent, l’elfe entendit la porte s’ouvrir derrière elle. Combien de temps s’était elle laissée emporter par ses souvenirs et ses pensées ? Difficile à dire… Toutefois Laelawyn était de retour, elle laissa donc là son parchemin toujours vierge et décida qu’un bol d’air frais lui ferait du bien. Elle sollicita son ami pour qu’il l’aide et l’accompagne dans le petit jardin qui jouxtait la maison. La journée était belle, le soleil brillait de nouveau.