Thuranor arriva après un long périple dans ses terres natales du Gondor, redécouvrant avec bonheur les senteurs et les couleurs de son enfance.
Alors que le soleil déclinait dans un ultime flamboiement écarlate, le capitaine fit une halte dans un village enclavé entre des collines quadrillées en un patchwork de pâturages, de vignes , de champs de blé et de bois ombrageux. Yrmos était son nom, à la limite ouest de l'Anorien, la région du Gondor située au nord du Lebennin de l'autre côté des Montagnes Blanches, et entre le royaume des dresseurs de chevaux, le Rohan et le fleuve Anduin.
C'était la fin des moissons, les hommes rentraient des champs en chantant, des enfants jouaient avec leurs chiens et suivirent un temps le capitaine qui menait Rôthinzil par la bride jusqu'aux portes du village. Une fête semblait se préparer. De jolies guirlandes de fleurs colorées serpentaient entre les maisons aux toits de chaume et entre les platanes. De grandes et robustes tables avaient été disposées en étoile au pied d'un chêne centenaire au centre du village, des chaumières s'échappaient les volutes parfumés de plats cuisinés.
Menant son destrier jusqu'à un abreuvoir, Thuranor fut interpellé par un vieillard entouré des enfants et de leurs chiens, celui-ci se présenta , il se nommait Bernagor et était le maire de ce charmant et paisible village. Il ne lui fallut pas longtemps pour reconnaitre les armoiries de la Maison d'Orngiliath, car Yrmos était sous la protection de Cair Andros, le fortin commandé par le père de Thuranor.
Bernagor fut enchanté d'avoir pareil visiteur dans son humble village et convia le capitaine aux festivités célébrant la fin des moissons.
La soirée fut animée par une troupe itinérante de musiciens et jongleurs qui joua tout au long du repas. Une demi douzaine de cochons de lait avaient été passés à la broche pour l'occasion, les plats de beignets de fleurs de courge, les tourtes de blettes, les oeufs à la sauge se succèdèrent dans une folle farandole sautant de table en table, accompagnés de rires, de chants joyeux et de vin aussi...
A la table du maire où Thuranor avait été convié en tant qu'invité d'honneur, de beaux discours et des poêmes furent déclamés pour célébrer la fin de l'été, un jeune couple fut uni par un prêtre bedonnant, la présence de la Maison d'Orngiliath fut saluée avec un protocole approximatif qui fit sourire Thuranor, les dieux furent remerciés pour l'excellente récolte ainsi que les Seigneurs et Intendants du Gondor qui parvenaient à maintenir la paix dans ce beau royaume.
Malgré l'ambiance chaleureuse et festive, la joie à l'idée de retrouver sa terre et sa famille, le capitaine ne pouvait s'empêcher de penser à celles et ceux qu'il avait laissé derrière lui, les Ombres...Plus que des amis ils étaient devenus une seconde famille, une part entière de sa nouvelle vie...Et puis il y avait un plus grand vide encore, une plaie ouverte bien plus profonde que celle qui barrait la paume de sa main droite, une plaie ouverte sur son coeur transpercé par un sombre poignard dont le poison s'appelait solitude ou mélancolie...
Andewen...
Thuranor se surprit à prononcer le nom de son aimée à voix haute alors que le bourgmestre à la barbiche souillée par le mauvais vin continuait à lui parler de banalités qu'il n'entendait plus. Thuranor s'excusa auprès de Bernagor et des villageois atablés à ses côtés, il fit une élégante révérence et s'éloigna pour aller digérer ses pensées, faire passer cette douleur insupportable...
Les regards interloqués firent vite place aux eclats de voix et aux rires gras rendus sonores par le vin et Thuranor conduisit ses pas vers l'obscurité à l'extérieur du village, laissant derrière lui la musique les danses et les chants, les feux de joie et les lampions multicolores...
Ainsi à l'écart il implora la lune et les astres, il implora son Etoile de lui pardonner son éloignement, peut-être à cet instant, en un autre lieu, Andewen observait-elle aussi Valacirca, la faucille des Valar...
Elbereth fit alors pleuvoir sept étoiles filantes et Thuranor sût que son voeu avait été exaucé. Il commença à entonner un chant en sindarin quand éclata depuis le village une gerbe de feux d'artifices: Les fumées blanches des fusées traçaient à la verticale le tronc d'un arbre puis explosaient haut dans le ciel en dessinant des ramifications scintillantes...
(to be continued)